Ouvriers et ouvrières, vu par l'auteur

Publié le par Editions Bérénice

ouvriersouvrieresOuvriers et ouvrières, haïkus en forme rebelle

de Jean-Michel Platier

Editions Bérénice

Collection Alix

ISBN : 2-911232-70-4

Prix : 3€

 

Le hasard n’existe pas en poésie


Ce petit livre de haïkus, présentés dans la collection Alix, qui sortit en compagnie d’autres textes – poèmes, essais – m’est venu à l’idée lorsqu’un jour, en regardant le journal télévisé de 13 heures sur France 2 – certainement parce que je devais être malade et que j’avais du temps à tuer – un reportage fut lancé sur l’usine automobile de Rennes (Peugeot – Citroën, de mémoire), et je vis à l’écran une superbe chaîne de montage, rutilante de propreté, avec des ouvriers hommes et femmes superbement habillés. Et là est tombé le commentaire du journaliste présentant ces hommes et ces femmes comme des « opérateurs et opératrices ».


J’eus du mal à fermer ma bouche, grande ouverte d’étonnement, n’en revenant pas encore d’avoir été le témoin du mensonge des mots mêlé à un langage politiquement correct des plus hypocrites. Puis j’ai éclaté de rire ! Ainsi, à l’aube des années 2000, les êtres humains qui travaillent sur des chaînes, dans les mêmes conditions que Charlie Chaplin en plein taylorisme et fordisme, se sont vus requalifiés par la langue, par les mots.

Ceci m’a confirmé que celui qui maîtrise le langage manie le pouvoir, que le pouvoir politique ou économique qui utilise comme bon l’entend les mots manipule les hommes, et que ces derniers sont toujours les victimes - le plus souvent consentantes - mais demeurent l’objet de pouvoirs parce qu’ils ne peuvent contrôler le langage, la langue, les mots usités qui déterminent leur situation économique et sociale.

La télévision effectuait donc un reportage informatif dont l’objectif premier visait à convaincre les spectateurs passifs que, premièrement, les ouvriers qui travaillent dans la banlieue rennaise sont des privilégiés, parce qu’ils ont du travail, qu’ils travaillent sur une chaîne moderne et propre, et enfin qu’ils ne sont plus dénommés comme pouvaient l’être leurs parents ou grands-parents de la terminologie supposée indigne « d’ouvrier ». Car aujourd’hui il n’existe plus d’ouvrier ; aucun ouvrier ne travaille sur les chaînes automobiles de la région rennaise ; seul le terme générique, spécifique, supposant compétence et savoir-faire d’opérateur et d’opératrice, qualifie désormais des équipes de spécialistes censés opérer directement sur les véhicules que des clients avisés pourront ou devront se payer pour se déplacer…


Quand on fait mentir les mots, pour modifier l’imaginaire collectif et celui des principaux intéressés, c’est qu’une société ou un pays n’est plus dans la réalité concrète mais dans un univers fascisant où les mots n’ont plus leur sens premier, où la honte supposée de telle catégorie sociale est ostracisée et qu’on rêve de la voir disparaître (parce qu’elle est a priori trop combative, organisée ?). La télévision une fois de plus s’est présentée comme le moyen de pilonnage des esprits, un instrument du bourrage de crânes.


Je me suis alors souvenu que mes grands-parents, que mes parents avaient été ouvriers, dans une époque où ce terme avait du sens, une dignité, un honneur. Quand les classes populaires existaient tant dans la réalité que dans la littérature ou le cinéma français.


En la supprimant aujourd’hui d’office, on nie la classe ouvrière dans sa représentation culturelle, et je n’évoque pas ici le politique !


La poésie se doit, selon moi, être l’outil afin de restituer la parole ouvrière, en soulignant des moments de la vie de ces ouvriers et de ces ouvrières. Car seule la poésie peut lutter sur le terrien inégal par définition entre les tenants de tous les pouvoirs alliés à tous les dénégateurs qui en niant cette réalité l’écrasent…


Les dictateurs ont toujours eu peur des poètes ; à mon très humble niveau, je souhaitais par ce livret que ces quelques textes puissent réveiller et relever les consciences pour leur rendre vie, pour rendre à leurs destinataires leur vocabulaire et les mots du sens commun qui est aussi celui de la vérité. Abuser les gens par les mots relève du contrôle des consciences et du langage, dernier degré de la dictature qui efface ainsi ce qui peut être susceptible de résister.


En niant la possible transmission de génération en génération des termes par l’utilisation de mots dévoyés de leur sens premier, est déniée la raison d’être de ceux qui sont à la base d’un système toujours plus inégalitaire, qui le font fonctionner et que l’on trompe en leur disant ce qu’ils ne sont plus, en leur faisant croire des mythes sur leur propre destinée.

Dans ce miroir aux alouettes, la poésie a pour objectif de rétablir le sens, la norme, la vérité. C’est la seule justice que je dois au monde ouvrier.

 

 

Jean-M. Platier

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